Nous reproduisons ici un article de Romain Garrouste publié dans The Conversation
Romain Garrouste, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
En ces temps de confinement, même les milieux naturels semblent exclus des possibilités dérogatoires de déplacements des Français, immobilisant naturalistes amateurs et professionnels pour qui, aller dans la nature, constitue un aspect essentiel de leur travail.
Il existe toutefois un ensemble de milieux où la biodiversité n’est pas du tout exclue : nos intérieurs, nos abords de maisons, les jardins et espaces urbains et péri-urbains. En ce début de printemps, la nature n’a rien de confinée : les espèces commensales des humains sont bien présentes autour de nous, à l’image de nouvelles espèces invasives – comme la punaise diabolique – qui se réveillent dans nos maisons et cherchent à sortir pour aller se reproduire.
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Les punaises de lits et autres espèces domestiques – psoques ou poux des livres, mites ou teignes des denrées, poissons d’argent, etc. – sont, elles, présentes de façon continue. Pour les punaises des lits, une seconde espèce est en train de s’installer en France (Cimex hemipterus). Et, dans les jardins, les vers plats invasifs commencent à chasser les vers de terre et les reines de frelons asiatiques vont bientôt fonder leur nids. Pour les punaises, une nouvelle invasive vient d’arriver dans nos maisons puis dans nos jardins, la réduve américaine Zelus.
Toutes nos espèces natives recommencent ainsi leur cycle annuel. Et plusieurs nouvelles espèces invasives non encore signalées s’installent probablement plus ou moins silencieusement.
Observez ce qui vous entoure
Pour un naturaliste, que ce soit dans un jardin, une jardinière disposée sur un balcon, les bords des arbres d’une allée urbaine, tout est matière à examen ; et le début du printemps se révèle propice à ces observations, avec le débourrage des bourgeons des arbres et arbustes, l’arrivée des pucerons sur les nouveaux rameaux, les premières fleurs et leurs pollinisateurs précoces, les premiers papillons, le réveil des fourmilières, le chant matinal des oiseaux, la reprise de l’activité dans les mares (souvent sonores avec nos amies les grenouilles), les premières chasses des lézards.
Un naturaliste ne s’ennuie jamais !
Bien entendu, les régions chaudes – régions méditerranéennes et atlantiques – sont un peu plus propices aux observations. Les régions méditerranéennes faisant même partie de ce que l’on désigne comme un « point chaud » de biodiversité. Mais toutes nos régions présentent un intérêt naturaliste, surtout dans le contexte changeant du réchauffement climatique qu’il faut comprendre et documenter.
Ne taillez pas vos haies trop vite, n’arrachez pas trop vite non plus les mauvaises herbes de vos jardinières : observez d’abord ce qui s’y passe, ça grouille de vie ! Comme sous les pierres, les branches mortes, les tas de feuilles. Dans tous les cas, rien de bien méchant s’y trouve. Bannissons nos peurs ancestrales de cet inframonde logé sous nos pied, indispensable au fonctionnement des écosystèmes. Soyons curieux de cette nature qui nous entoure, même dans nos maisons.
Participez à la recherche scientifique
À l’heure du développement numérique, les sciences participatives ont pu prendre leur envol, en bénéficiant notamment d’une panoplie de nouveaux outils informatiques et en ligne. Le Muséum national d’histoire naturelle est en pointe dans ce domaine, grâce à un réseau unique de partenaires et d’ONG naturalistes, de sociétés savantes et de passionnés dans toutes les disciplines.
L’engouement de ces activités a conduit à mettre en place un programme ambitieux, appelé « 65 Millions d’observateurs », proposant des programmes très variés. Aujourd’hui, muni d’un smartphone, chacun d’entre nous est un observateur en puissance, que ce soit pour prendre des photos, compléter des questionnaires ou partager des informations. Renouer avec la nature est désormais possible, comme le propose par exemple l’application INPN. De son côté, le portail OPEN regroupe toutes les initiatives des sciences citoyennes.
Les sciences participatives offrent une façon utile, ludique et pédagogique de nous rapprocher de la nature, depuis nos intérieurs ou nos jardins. Et tout particulièrement pour les plus jeunes d’entre nous en ces temps de confinement renforcé.
Pourquoi ne pas commander, par exemple, un microscope USB (on en trouve à partir de 20 euros) pour observer les insectes ou regarder des graines pousser ? Pourquoi ne pas faire un mini-potager à partir des légumes et fruits (boutures, épluchures) que vous utilisez en cuisine ? Avec l’aide d’Internet, commencer un petit élevage d’araignées (comme ici et là, par exemple) ressemble à un jeu d’enfant. Et pour ceux qui en possèdent un, explorer votre composteur, son contenu ne manquera pas de vous surprendre (avez-vous déjà rencontré la mouche soldat noire ?).
Si vous observez des punaises invasives (Halyomorpha, Leptoglossus, Zelus renardii), signalez-les sur le site dédié du Muséum, une simple photo prise avec votre portable suffira. Pour les punaises des lits, vous pourrez adresser des échantillons (petits récipients bien fermés, morts ou vifs) à mon nom à l’adresse suivante : l’ISYEB/MNHN 45, rue Buffon 75005 Paris. Elles serviront à nos recherches sur ces espèces.
Pensez aussi a allez explorer les pédagogies alternatives (dites inversées ou par projets) qui vont certainement connaître une essor unique après cette période de confinement. Celles proposées par exemple par le CRI et son programme « Les Savanturiers » ou le plus classique « Main à la pate ». Tous proposent des MOOCs, des serious games et autres ressources permettant d’améliorer nos connaissances sur les sciences de la nature.
Dans le miroir de la nature
En marge de sa portée tragique, la pandémie de Covid-19 nous invite aussi à réfléchir à ce qui nous a conduits dans une telle situation. Ces phénomènes émergents sont certainement le fruit de mauvaises pratiques perturbant le fonctionnement d’écosystèmes que nous ne connaissons en réalité encore que très peu et que nous cherchons à dominer, voire à faire disparaître, pour éradiquer des espèces perçues comme dérangeantes, inutiles et des milieux jugés « non productifs ».
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Espérons que cette situation inédite donnera la priorité aux mesures qui s’imposent pour rendre à la nature la place qu’elle doit conserver dans nos vies et dans le fonctionnement de nos sociétés.
Commençons donc par lui faire une vraie place dans l’intimité de nos maisons, de nos jardins ; et chassons nos peurs en observant et en cherchant à mieux connaître ce monde vivant qui nous entoure. Regardons la nature de près pour nous connaître mieux.
Cet article est publié en collaboration avec les chercheurs de l’ISYEB (Institut de systématique, évolution, biodiversité du Muséum national d’Histoire naturelle, Sorbonne Universités). Ils proposent ici une chronique scientifique de la biodiversité, « En direct des espèces ». Objectif : comprendre l’intérêt d’explorer le Vivant et de décrire la biodiversité.
Romain Garrouste, Chercheur à l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (UMR 7205 MNHN-CNRS-Sorbonne Univ.-EPHE-Univ. Antilles), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.